Qui a dit que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique ? Certainement pas Audran Demierre. Originaire de la région de Grenoble, ce lycéen de 17 ans, en terminale S, est devenu ces dernières semaines, la coqueluche des médias. Fondateur du “French Débat”, la plate-forme citoyenne sur internet dédiée aux 15-25 ans, il a profité de l’appel lancé par le Président de la République, pour mener son “Grand Débat national des jeunes”. Passionné de politique (“Je m’y suis sérieusement intéressé depuis l’élection d’Emmanuel Macron”, confie-t-il), le futur bachelier qui prépare des concours d’entrée à Science Po, s’est laissé un peu de temps libre dans ses révisions, vendredi 8 mars, pour suivre Thomas Gassilloud dans sa journée marathon spécialement dédiée aux jeunes.
Après l’organisation de 9 soirées avec les citoyens de son conseil de circonscription, le député de la 10e circonscription du Rhône le reconnaît : le Grand Débat n’a guère mobilisé la jeunesse. C’est un euphémisme. “Ce n’est pas que les jeunes boudent la politique, estime, pour sa part, Audran, en fin connaisseur. Le problème, c’est que les réunions sont souvent organisées le soir, dans des mairies ou dans des salles des fêtes : il est difficile pour la plupart des jeunes, surtout pour ceux qui sont en zone rurale, de s’y rendre. Et puis, les thématiques de la fiscalité et de l’organisation de l’Etat ne les passionnent pas vraiment…”
Qu’à cela ne tienne ! Le député de 38 ans (“J’étais jeune il n’y a pas si longtemps !”, sourit-il) et son équipe parlementaire sont allés vers eux, à travers le territoire. Du A l’ (avec également des élèves du lycée Jean-Monnet), dès 8h du matin, à la fac de médecine de Lyon-Sud, dans l’après-midi, en passant par la MFR (Maison familiale et rurale) de Saint-Martin-en-Haut et le campus vétérinaire Vet’Agro à Marcy-l’Etoile, les propositions ont fusé.
La journée s’est terminée sur les coups de 21h, à l’Iseg, école de marketing et de communication, dans le 7e arrondissement de Lyon, pour un dernier débat — public, celui-là — en présence de Bruno Bonnell, député de la 6e circonscription du Rhône. Bilan des courses ? Deux cents étudiants ou lycéens ont pu, sans même se déplacer, exposer, comme leurs aînés, leurs propositions et prendre en mains leur avenir.
Les préoccupations principale concernent notamment l’éducation, autour de la réforme du bac (un bac “plus personnalisé” dès la rentrée prochaine) ; Parcoursup avec ses algorithmes jugés plus ou moins obscurs ; la carte scolaire… mais aussi la mixité sociale dans les écoles : elle “n’existe plus”, de l’avis (pas forcément partagé) de ce participant qui explique que “les familles préfèrent scolariser leurs enfants dans le privé même si c’est plus cher”.
La formation des professeurs des écoles est, elle aussi, pointée du doigt, jugée “catastrophique” par cette jeune femme et déjà ancienne institutrice en reconversion professionnelle. “Pourquoi les plus jeunes enseignants sont appelés à travailler dans les zones plus tendues alors qu’il n’ont pas encore d’expérience ?”, interpelle quelqu’un. Et pourquoi le métier est-il aussi “dévalorisé”, juge un autre.
Le Service national universel (SNU) a lui aussi fait débat : Thomas Gassilloud y est particulièrement investi dans ce projet en tant que membre de la commission “Défense” de l’Assemblée nationale. “Une expérimentation doit être menée avant l’été prochain”, rappelle-t-il, prônant les avantages de ce moment de cohésion (2 semaines en immersion totale chapeautée par l’Armée et deux autres semaines à répartir durant l’année dans une structure sociale) : la mesure vise à recréer le socle d’un creuset républicain et transmettre le goût de l’engagement. Mais certains doutent de son efficace : “ça ne résoudra pas les problèmes”, estime un étudiant, alors qu’une autre juge que “cette mixité sociale permet d’avoir un regard ouvert sur le monde”. Oui, mais le coût de l’opération (1,5 milliard d’€) en vaut-il vraiment la peine ? “Le service militaire a été suspendu dans les années 1990 par Jacques Chirac car il coûtait cher et ne servait à rien, rappelle une jeune femme. Il faut faire des économies. Serait-ce raisonnable de le rendre obligatoire vu le déficit budgétaire chronique de notre pays ?”
Tout au long de la journée, ces rendez-vous successifs dans des établissements scolaires ont aussi donné l’occasion aux lycéens et aux étudiants d’exprimer leurs craintes quant à leur avenir. Et au député de saisir encore davantage leurs problématiques et leurs attentes. Parmi elles, les transports en commun n’apparaissent pas toujours des plus efficaces (voire carrément inexistants dans certains secteurs) : “A la campagne, il n’y a pas de solutions alternatives à la voiture”, regrette un futur véto. Et le covoiturage est jugé plus utile pour les longues distances. Les étudiants en sont quittes à rouler à bicyclette… “Mais il nous faudrait des pistes cyclables dignes de ce nom !”
Les carabins de la faculté de Médecine Lyon-Sud ont fait part, eux, de leur malaise. Voire de leur mal-être. “On prend soin des autres mais personne ne prend soin de nous !”, lance une étudiante qui dénonce les restrictions budgétaires, le manque cruel d’effectifs dans les hôpitaux et les conditions de travail alors que “nous faisons parfois des journées de 24 heures non-stop”… pour une cinquantaine d’euros. “Comment fait-on pour y arriver si on n’a pas nos parents derrière nous, pour nous aider financièrement ?” Et une autre de renchérir : “Si on me l’avait dit avant, jamais je ne me serais lancée dans de telles études”. Incontestablement, la séquence émotion de cette journée… pas comme les autres. Pour le député, le Grand Débat est terminé. Mais les citoyens n’ont pas dit leur dernier mot. Les jeunes non plus.